« Cette simplicité qui nous attend, qui nous est indispensable, est celle de l’après trop. Le simple est devant nous, non derrière
Le simple n’est pas une régression, une sous complexité, il devient progression. »
Roger-Paul Droit
Cette phrase de Roger-Paul Droit a été punaisée dans mon atelier pendant des années, aujourd’hui elle prend tout son sens, car je prends «la ferme disposition à vivre enfin autrement » pour citer Jean-Christophe Bailly (écrivain et poète contemporain).
Il a fallu deux mois de confinement en pleine nature, pour toucher du doigt mon trajet de vie.
Vivre entourée des 4 éléments, en toute simplicité, et en grande créativité. Je réalise en déroulant le fil de ma vie, que cette simplicité m’a toujours accompagnée, dans mon cadre de vie, et même dans ma vie professionnelle.
Deux mois qui m’ont permis de faire le point sur mon rapport à la nature et de m’apercevoir que les moments les plus intenses de ma vie je les dois aux diverses expériences faites de vie en pleine nature, lorsque le temps s’étire et que l’on se concentre sur ses besoins vitaux, trouver de l’eau, faire du feu et glaner de la nourriture : cela « oblige » à se connecter totalement et entièrement avec l’environnement et j’en ai toujours ressenti un bien être profond.
Mon atelier qui m’a servi de logement pendant plus de 25 ans à Paris, était lui d’une grande sobriété. Une grande table de ferme, une cuisine minimaliste et, comme seul chauffage, un poêle au charbon, transformé après quelques années en poêle à bois.
Artisane depuis plus de 30 ans, j’ai toujours travaillé avec la chaux, formulant moi-même mes enduits pour mieux ressentir cette magie s’opérer entre mes mains, et c’est avec un grand plaisir que j’ai, sans relâche, partagé lors de mes formations ce bonheur de partir d’un matériau issu de la terre qui, ajouté à un savoir-faire manuel permet toutes les créativités possibles.
Magie parce qu’avec les 4 éléments, la terre, le feu, l’eau et l’air, on a créé depuis des milliers d’années, des habitats et des décors, dont la créativité n’a pas de limite.
Je n’ai cessé de vanter ce matériau si simple, cette colle émanant de
la pierre, elle-même issue de la terre. Cette pierre calcaire est brulée par le feu, éteinte avec l’eau, pour créer la chaux. Ce liant, qui mélangé à du sable, sera travaillé selon différents techniques et finira par se solidifier telle une pierre, au contact de l’air.
Cette transformation peut se répéter sans fin. Ce mouvement est un cercle, on part de la pierre pour revenir à la pierre, recyclable à l’infini.
Avec cette matière aussi simple, enrichie d’un savoir-faire spécifique, les habitats depuis le néolithique ont été hourdés, les étables badigeonnées, les maisons protégées, les palais embellis…Une infinité de possibles, non exhaustif.
Mais alors, ces 4 éléments peuvent-ils aussi m’apporter la vie, en toute simplicité et en grande créativité ? La terre, le feu, l’eau et l’air ne sont-ils pas suffisants pour m’apporter les plus grandes joies ? Et c’est en arrivant à cette interrogation que je prends :
« la ferme disposition de vivre enfin autrement ».
Je suis alors partie à la recherche d’un terrain, qui pourrait satisfaire cet élan… et il m’attendait au sud de l’Aveyron !
4 hectares de terrain, partagés entre forêts et pâtures, avec un petit ruisseau s’échappant d’une source.
Sur ce terrain, La Maison, celle que j’ai dessiné pendant des années, sur mon tableau blanc, pour expliquer, lors de mes formations, la logique constructive préindustrielle. Un habitat de cueillette, fait uniquement de matériaux glanés sur le terrain.
Le bâtiment est construit en pierres granitiques hourdées par un mélange de chaux et de terre, les châtaigniers de la forêt d’en face forment la charpente, les larges planches au sol sont faites de chênes de cette même forêt et la toiture en ardoise épaisse, couronne cette belle architecture. La perfection des lignes et des proportions, dans une logique vernaculaire, se marie pleinement avec l’environnement. Aucun matériau issu de l’industrie de la pétrochimie n’a approché ce bâtiment, vieux de 300 ans et toujours préservé dans son authenticité ; personne n’y a habité depuis au moins 4 générations, mais il a été conservé avec soin.
Cette maison je l’ai imaginée et visualisée depuis 30 ans, et la voici aujourd’hui, offerte, face à un sublime terrain dont la diversité végétale fait mon bonheur. Ce cadeau de la vie vient confirmer mon projet.
Je cherche donc à nommer cet endroit, dont le terrain en pente douce, de chaque côté, forme en son point le plus bas une fosse herbeuse et humide, qui recueille les eaux et d’où s’échappe la source et le ruisseau, c’est ce que l’on appelle Une NOUE.
Alors la maison sera baptisée LA NOUE, nom symbolique qui vient me bousculer lors de la lecture de « nos cabanes » de Mireille Macé, qui évoque les noues de son enfance et fait un parallèle avec le Nous collectif.
Mon projet en effet n’est pas celui d’une ermite, qui cherche à fuir et à se retirer loin du monde.
Mon projet est de mettre du lien entre l’humain et la nature. Je vois de plus en plus de personnes en perte de sens. Dans l’engrenage urbanisé de nos villes, des angoisses montent face aux déchirements du monde. Je me sens moi-même tellement impuissante face à ce monde abîmé, dont les seules images que l’on nous donne à voir sont les divisions, les affrontements, les déchirements, des guerres et le décompte des morts.
J’ai envie d’une vie de lien, de partage, de communion avec le vivant, tous les vivants, un « faire » ensemble, loin des discours, dans l’énergie du corps : sentir, toucher, observer, fouler, glaner, ramasser, tracer, tresser, dessiner, bâtir, découvrir…ensemble.
Être dans le « faire » mais le faire à plusieurs, laisser la place aux rêves, laisser jaillir les idées, laisser s’offrir les savoirs faire en partage. Donner, être dans la richesse de l’échange, l’échange de la richesse de chacun de nous et non celle de la monnaie.
Créer des Nous !
« Nous, ne signifie pas une addition de Je mais un sujet collectif. Nous est le résultat d’un Je qui s’est ouvert, qui s’est dilaté, déposé en dehors, élargi » Marielle Macé
Créer Des Nous qui sont des nœuds, des liens, pas Un Nous qui serait limité et fermé, non, un Nous capable de se dénouer, un Nous pour un temps, pour un projet. Pas un Nous clos, un Nous ouvert de quantités de Nous. Des collectifs non permanents mais suffisamment soudés pour créer quelque chose ensemble.
« Ce nous, doit se nouer mais aussi bien se dénouer ; on se dit que ce « nous » est une affaire de liens, d’attachements, de mêlements, d’interdépendance et d’arrachement, et, de démêlements, et de dénouements—plutôt que d’appartenance ou d’identification. »
Ce projet n’est pas nourri par la peur, le repli sur soi, il n’est pas désir de se contenter de peu et de se fermer au monde, c’est au contraire un élan de vie, d’une nouvelle richesse pleine d’abondance, de liens, de créativité, d’élévation par le partage.
Solène
Najac, le 20 mai 2021